mercredi 23 octobre 2013

Les dents de la nuit ou comment délivrer vos enfants du sortilège Twilight et The Vampire diaries





   
     Si les termes "Twilight", "The Vampire diaries", "Vampire" et autres joyeusetés ont l'habitude de résonner à vos oreilles, cela signifie probablement :

1) que vous êtes le parent d'un ado / vous êtes un ado / vous aimez ce type d'ouvrages,
2) que vous allez le/vous tourner vers une littérature plus classique et plus (re)connue grâce à l'ouvrage dont je vais vous parler aujourd'hui (ne me jetez pas de pierre, chaque type de lecture à son intérêt, je dis juste que si vous souhaitez découvrir ou faire découvrir des auteurs connus à vos enfants, ce livre est fait pour vous.)

     En effet, Sarah Cohen-Scali propose, à travers la "petite anthologie "vampirique" " qu'elle a composée, de découvrir le mythe du vampire, figure littéraire qui ne se limite pas à Edward, Stephen, Daemon ou même Dracula. Cohen-Scali a sélectionné des nouvelles aussi bien françaises qu'étrangères datant du XIXème et du XXème siècle. On prend ainsi plaisir à (re)découvrir des nouvelles de Gautier, Dumas, Tolstoï, Stoker ou Bradbury et l'on constate que le personnage du vampire est bien plus fascinant et protéiforme que ne le laisse entrevoir les récits actuels.
      Je me permets d'ailleurs d'attirer votre attention sur la nouvelle "La morte" de Maupassant (rien à voir avec "La Morte amoureuse" de Gautier) qui combine habilement le frisson avec une certaine pointe d'humour. Cette brève nouvelle fantastique à chute est vraiment formidable. A contrario, j'ai été moins charmée par deux nouvelles du XXème siècle : "Processus de sélection" d'Ed Gorman et "Le Rapace nocturne" de Stephen King dont certains termes ne sont pas forcément adaptés à un public trop jeune (même si je ne suis pas dupe : je sais bien que les ados connaissent ce vocabulaire).



En bref : Des auteurs issus d'horizons divers, des nouvelles variées (parfois abrégées) qui permettent de découvrir la figure du vampire dans la littérature. Un ouvrage à mettre entre les mains des ados aussi bien qu'entre celles de leurs parents tant ces nouvelles sont fascinantes.

Les séparées ou le syndrome du récit qui ne va pas là où on veut ...






     Avez-vous déjà étés victimes de ce syndrome ? Je parle du "syndrome du récit qui ne va pas là où on veut". Je m'explique. Vous entamez la lecture d'un roman et vous vous apercevez (ou peut-être aviez-vous choisi ce roman à dessein) qu'il fait écho à quelque chose qui vous intéresse, que vous avez connu ou vécu ... Votre esprit va alors vouloir tordre le récit pour qu'il colle à vos attentes et vous allez, par exemple, anticiper la fin du roman au lieu de vous laisser guider par le narrateur. Une variante est d'entamer une sorte de dialogue intérieur avec l'auteur ("Mais pourquoi avez-vous écrit cela ? Ce n'était pas la chose la plus intéressante ! Pourquoi ne pas avoir ... ? etc) (en vrai, c'est bien moins étrange que lorsque l'on tente de l'expliquer par écrit).

     En tout cas, c'est exactement ce qui s'est produit pour moi à la lecture des Séparées de Kéthévane Davrichewy, récit qui n'a cessé de contrarier mes attentes de lecture.
     Le roman s'ouvre lors de la soirée électorale de 1981, à laquelle assistent Alice et Cécile. Le lecteur découvre alors l'amitié qui unie les deux jeunes filles. Par la suite, il les retrouve lors d'un rendez-vous bien des années plus tard et constate que leur relation s'est transformée : les deux femmes s'envoient des piques, se brouillent et l'amitié laisse finalement place à la rancœur.  La narration, finement construite, se met alors en place : la parole est laissée tantôt à Alice, tantôt à Cécile qui, plongée dans le coma, imagine les lettres qu'elle voudrait écrire à Alice.
     Tout au long du récit, l'auteur explore les différentes facettes de l'amitié : la joie, le soutien mais aussi les malentendus ou la jalousie. Se dresse alors un panorama assez complet de la relation amicale de son début jusqu'à sa fin.

      C'est d'ailleurs grâce ou plutôt à cause de cette représentation si fine et précise de l'amitié que j'ai été victime du syndrome dont je vous parle aujourd'hui. En effet, ayant connu, comme nombre d'autres, une déception amicale, je ne cessais d'imaginer les réactions des personnages ainsi que le tournure des événements et ne cessais donc pas d'être contrariée puisque le récit ne suivait évidemment pas ma volonté (surtout à la fin).

     Ce syndrome crée nécessairement une forme de contrariété mais il ne gâche pas toujours une lecture : n'est-ce pas un des plaisir de la lecture que de se laisser entraîner hors des sentiers battus par notre esprit ?


 En bref : La grande finesse de ce récit, aussi bien au niveau de la narration que de la représentation de l'amitié, font de ce roman un ouvrage intéressant. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de me (et de vous) demander : pourquoi, mais pourquoi une telle fin ? (Bien moins délicate que le reste de l'ouvrage mais bien plus sensationnelle).

lundi 7 octobre 2013

Le roi Arthur de Michael Morpurgo ou quand Arthur m'endort ...

    





     Le titre est un peu excessif mais les faits sont bien là : mêle si le sujet est passionnant, je ne peux pas lire cet ouvrage sans être prise d'une irrépressible envie de dormir. L'effet de cet ouvrage sur moi est un mystère ...

     En effet, je ne peux pas l'expliquer par une mauvais qualité du livre mais plus probablement par la fatigue qui m'accable en ce moment (vive la rentrée). La seule critique valable sur ce point est donc que ce roman n'est pas un "page turner" (et c'est aussi bien car je ne suis pas une grande fan des "page-turner" (quelqu'un connaît-il un mot pour traduire ce terme en français ?) ). En tout cas, ce n'est pas le genre d'ouvrage qui vous fera dire "Vite, vite, il faut que je sache la suite, je dormirai un autre jour".
     Passé ce premier constat, ce roman est plutôt bien construit. Il décrit l'histoire d'un jeune garçon qui manque de se noyer après avoir été surpris par la marée haute et qui est sauvé par Arthur Pendragon. Celui-ci va alors lui raconter l'histoire des chevaliers de la table ronde et sa propre vie.

     J'aime beaucoup l'idée qu'Arthur raconte sa propre histoire à un jeune garçon de notre époque (bien que le cadre spatio-temporel du roman ne soit pas clairement défini). C'est d'autant plus intéressant que cela fait écho au fait que les récit arthuriens, qui datent du Moyen-Age, étaient à l'époque transmis de manière orale.



En bref : Ce récit, à la fois intéressant, instructif et au vocabulaire chosi, manque un peu de rythme à mon goût. Cela ne m'a pas pour autant définitivement détourné de l'auteur dont je compte bien découvrir d'autres romans mais nous face à la question suivante : les enfants, cibles premières de ce roman, ne peuvent-ils pas être rebutés par ce rythme relativement lent ?

lundi 3 juin 2013

Star-crossed lovers de Mikaël Ollivier ou comment parasiter un roman à cause d’une référence inutile










          Star-crossed lovers raconte l’histoire de deux adolescents qui tombent amoureux l’un de l’autre. Cette histoire d’amour est contrariée par la famille des héros : elle est la fille du responsable syndical de l’usine de la ville, il est le fils du patron de l’entreprise. De plus, le patron cherche à fermer l’usine … La passion des deux jeunes gens ne naît donc pas sous les meilleurs auspices. Au fil des jours, les deux jeunes gens se découvrent et apprennent à connaître l’univers si différent de l’autre : lui vit dans une grande maison et se passionne pour la musique classique, elle vit dans une petite maison qui bruit des voix de sa famille et de ses nombreux amis.


Un récit caricatural ?

                Le roman possède en effet une dimension caricaturale dans la mesure où le jeune homme, au prénom composé, évidemment, vit une grande maison, a des parents qui lui apportent un confort matériel mais pas de sécurité affective, adore la musique classique, ne sort jamais alors qu’à l’opposée, l’héroïne habite dans une petite maison quasiment surpeuplée, écoute de la variété et sort sans avertir ses parents. De ce point de vue, le récit est effectivement caricatural.
                Pourtant, lorsque l’on considère d’autres aspects du récit, je serais tentée d’affirmer qu’il ne l’est pas assez. En effet, le titre choisi par Mikaël Ollivier n’est pas anodin : il fait référence aux deux amants maudits les plus célèbres de la littérature, à savoir Roméo et Juliette. Pourtant, selon moi, son récit n’entretient qu’un rapport ténu avec celui de Shakespeare : point d’équivalent de Mercutio, pas de réelle interdiction de se fréquenter faite aux jeunes gens … Ainsi, le lien entre les deux ouvrages n’est pas totalement justifié car l’intrigue n’est pas suffisamment proche de celle de la pièce de Shakespeare et la passion entre les deux adolescents n’est pas aussi intense.
                Mais, au-delà de la référence (utile ou non) à l’œuvre de Shakespeare, l’un des intérêts majeurs de cet ouvrage est d’évoquer des questions de société : les délocalisations et le chômage. Ce n’est pas un ouvrage militant, loin de là, mais en relatant une histoire d’amour sur fond de fermeture d’usine, l’auteur donne une place importante à un sujet lourd et le fait entrer dans l’univers des adolescents.


En bref : Une histoire d’amour assez banale entre deux jeunes gens qui vaut surtout pour le contexte dans lequel elle se déroule, contexte qui suscitera probablement des réactions de la part les jeunes lecteurs.

Le « pourquoi du comment du titre » : C’est une citation extraite de Roméo et Juliette de William Shakespeare. Tout comme dans la fameuse pièce, les deux protagonistes sont amoureux mais le conflit entre leurs familles menace leur histoire.

Remarque : Mais pourquoooooooooooooooooi une telle fin ? Elle discrédite totalement la référence à Roméo et Juliette !

Les Revenants de Laura Kasischke ou comment jouer avec l’horizon d’attente du lecteur





Dans cet ouvrage, Craig, étudiant, est persuadé de revoir sur le campus de son université Nicole, sa petite amie décédée par sa faute dans un accident de voiture. En voyant l’effet que cela produit sur le jeune homme, son colocataire, Perry, lui aussi obsédé pas la jeune femme décide d’enquêter sur le phénomène. Il demande l’aide d’une des professeures de l’université dont les cours portent sur les rites funéraires et les superstitions autour de la mort. Celle-ci voit dans cette histoire le sujet d’un article qui lui permettrait d’obtenir sa titularisation. Parallèlement, Shelly, témoin de l’accident dans lequel Nicole est morte, ne comprend pas pourquoi les journaux relatent une version erronée du fait divers. Malgré son obstination, personne ne semble vouloir prendre en compte ses dires.


Le titre du roman incite le lecteur à lire cet ouvrage comme un texte fantastique. De plus, les faits étranges ne cessent de se multiplier et se produisent dans des circonstances qui laissent le lecteur circonspect : un jeune homme croit discerner Nicole de loin dans la pénombre, un autre, drogué notoire, témoigne de la même chose et meurt peu après … Le lecteur ne cesse de se demander si les personnages principaux ont raison de croire à la réapparition de Nicole où s’ils sont dupés par leurs obsessions (amour, carrière …). Après de multiples fausses pistes et détours, le récit se termine de façon à répondre aux interrogations du lecteur (ce qui m’a ravi car, même si j’aime que le doute plane à la fin de certains romans, je n’aurais pas apprécié cela dans ce cas précis).
Cette atmosphère à la fois addictive et oppressante, si prégnante dans le roman, provient non seulement des faits racontés mais aussi de la manière dont ils sont décrits. Laura Kasischke orchestre avec une maîtrise parfaite ce roman choral. Parfois, les doutes de chacun des personnages se font écho, d’autres fois, l’enthousiasme de certains se heurte au scepticisme des autres et, lorsqu’un des personnages est sur une piste intéressante, l’auteur concentre son récit sur un autre, frustrant ainsi le lecteur. Ce n’est donc pas pour rien que Laura Kasischke enseigne  « l’art du roman » (dixit la note bibliographique de l’édition du Livre de Poche) à l’université !
Néanmoins, je m’étonne qu’elle enseigne à l’université car la façon dont elle décrit le milieu universitaire rend celui-ci méprisable : l’obéissance à la hiérarchie surpasse les qualités des enseignants, les fraternités et les sororités jouissent de passes droit, les responsables prennent des décisions arbitraires … Il ne fait pas bon évoluer dans le monde universitaire tel qu’il est décrit par l’auteure américaine !


En bref : Un ouvrage captivant qui ne cesse de dérouter le lecteur : ceux qui affirment avoir aperçu Nicole sont-ils sains d’esprit ? S’ils l’ont vraiment vue, que cela signifie-t-il ? Nicole est-elle une revenante ? Est-elle un être humain ou autre chose ?

Le « pourquoi du comment du titre » : Craig aperçoit Nicole qui est pourtant morte, ce qui fait d’elle une revenante. Le pluriel indique au lecteur qu’elle n’est probablement pas la seule…

dimanche 2 juin 2013

Des ouvrages de Laura Kasischke




J'ai découvert cette auteure par hasard, en tombant sur son dernier livre paru en France, Les Revenants, dans une librairie. Ce titre a tout de suite attiré mon attention puisqu'à l'époque, Canal+ diffusait les derniers épisodes de la première saison de la série Les Revenants que j'ai trouvée très intéressante et j'ai voulu savoir dans quel mesure il existait un lien ou une résonance entre ces deux oeuvres.


Deux lignes deux forces se dégagent des quelques romans de Laura Kasischke que j’ai lus :

                Tout d’abord, l’intrigue de chacun de ses ouvrages ressemble à un entrefilet de la page "faits divers" d’un journal : « une jeune fille décède dans un accident de voiture alors que son petit-ami, conducteur du véhicule, est indemne », « une maladie pour l’heure inconnue se développe » … Les intrigues ainsi résumées semblent assez racoleuses mais le contraste entre l’intrigue assez simpliste et la narration à la fois complexe et bien menée met en lumière le talent de conteur et de stratège de l’écrivain.
       En effet, même si le lecteur perçoit que certains éléments du récit sont importants, il ne comprend leur portée que lorsque l’auteure lui en donne la possibilité. Laura Kasischke semble prendre plaisir à jouer aussi bien avec ses personnages qu’avec ses lecteurs : parfois, ces derniers déchiffrent un élément comme étant une clé de l’intrigue et brûleraient de le murmurer à l’oreille du personnage principal, bien avant que ce dernier n’en saisisse le sens, d’autres fois, lecteurs comme personnages sont plongés dans une atmosphère anxiogène sans vraiment pourvoir en expliquer la cause, jusqu’à ce que l’auteur la leur dévoile.
Ainsi, Laura Kasischke, par son talent d’écrivain, parvient à donner une profondeur à des récits de prime abord assez simples, profondeur qui vient aussi bien de la complexité maîtrisée de la trame narrative que d’un thème récurrent qui semble aussi bien travailler l’œuvre que son auteur.

                Plus qu’un thème, cela semble même constituer le leitmotiv des récits de Laura Kasischke : le couple antithétique éros et thanatos. En effet, chacun des romans de Laura Kasischke évoqués ici présente le récit d’une ou plusieurs passions charnelles, souvent décrites de manière détaillée. Cependant, ces histoires ne sont pas idylliques et ne transforment pas le monde des personnages principaux en un monde idéal où règne la paix, l’amour et le bonheur. Chacune de ces passions connaît un contre-point macabre.
Ainsi, après avoir épousé un séduisant pilote de ligne, l’héroïne de En un monde parfait voit son horizon professionnel se rétrécir puis disparaître lorsqu’elle se retrouve réduite à un ersatz d’épouse et de mère. Parallèlement, le monde qu’elle connaît se désagrège peu à peu sous l’effet d’une épidémie qui ravage l’humanité.
Dans A toi pour toujours, l’héroïne vit une passion torride mais le transport que lui inspire son histoire d’amour est tous les jours entaché lorsqu’elle croise, sur la route entre son domicile et celui de son amant, le cadavre d’une biche qu’elle a renversée et qui se décompose au fil du temps. Cette carcasse peut être comprise comme la métaphore de son couple qui se meurt et/ou de son aventure extra-conjugale dont la résolution ne peut être que tragique. Le même principe s’applique au roman Les Revenants. Cette tension perpétuelle entre passion et mort confère une atmosphère particulière aux romans de Laura Kasischke. Le lecteur ne peut jamais totalement entrer en sympathie avec le personnage principal car l’atmosphère mortifère qui entoure le récit l’inquiète et l’invite à rester à distance afin d’observer comment et si le héros pourra résoudre son problème.

Le Goût des pépins de pomme de Katharina Hagena ou la saveur des souvenirs


Je dois avouer que je ne comprends pas le commentaire de Jeanne de Ménibus en quatrième de couverture de l’édition du Livre de poche :  « Tout sauf anodin, dans une famille allemande dont la « disposition à  l‘oubli » ne dupe personne ». Il faut croire que j’ai dû me laisser duper !
C’est notamment à cause de ce commentaire sur le livre que celui-ci est resté si longtemps dans ma bibliothèque : je n’avais pas envie de lire un livre sur le nazisme (ce que sous-entend, pour moi, ce commentaire). La littérature allemande contemporaine ne se résume pas à des variations sur le nazisme.
Cependant, contrairement à ce que laisse penser ce commentaire, ce récit n’est centré pas sur une famille allemande qui tenterait d’oublier ou de cacher un passé en rapport avec le nazisme (bien que ce sujet soit, certes, brièvement abordé).

L’histoire est à la fois simple et poignante : à la mort de Bertha, Iris, sa petite-fille, hérite de sa maison. Cette maison, c’est celle où Iris a passé ses vacances lorsqu’elle était enfant. Après avoir pris connaissance du testament de sa grand-mère, elle passe quelques jours dans la veille demeure afin de décider si elle accepte ou non cet héritage. Au fil des jours, des pièces qu’elle parcourt et des personnes qu’elle redécouvre, les souvenirs émergent et permettent de brosser le portrait des différents membres de la famille : la grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer et dont la mémoire se délitait peu à peu, le grand-père si souvent enfermé dans son bureau, la cousine admirée et partie trop tôt … C’est d’ailleurs le décès de cette cousine, Rosemarie, qui sert de fil rouge au roman.

J'ai beaucoup apprécié la manière dont Katharina Hagena a construit son récit : à chaque fois que la narratrice pose les yeux sur un objet, ouvre une porte, entend un bruit, un souvenir lui revient en mémoire et, souvent, ce souvenir en fait resurgir un autre. Lorsque la narratrice évoque de nouveau ce qui a causé le surgissement du premier souvenir, le lecteur se dit "Ah, oui, elle parlait de ça au début !". Cela confère une dimension intimiste au récit  : le lecteur a l'impression d'écouter une amie. (Qui n'a pas commencé à raconter quelque chose avant de passer à une autre histoire par association d'idées, avant de finalement revenir sujet de départ ?)
J'ai également aimé la relation établie entre le déroulement du récit et la maison, enfin surtout le jardin. La vue de chaque élément du jardin rappelle des souvenirs à la narratrice et certains bouleversements qu'a connu la famille d'Iris ont un retentissement sur le jardin.
Cela me mène directement à un autre point fort de ce récit : les touches de fantastique, les éléments quasi-extraordinaires qui parsèment le récit (par exemple, suite au décès de Rosemarie, toutes les groseilles rouges deviennent blanches). On peut voir à travers eux que le roman ne se limite pas simplement à décrire l'histoire d'une famille mais prend la dimension d'un mythe familiale. Peu importe ce qui est vrai, la narratrice raconte la vérité de sa famille, avec toutes les zones d'ombre et les arrangements avec la réalité que cela inclut. On peut ainsi lire au chapitre X : "Les histoires que l'on me racontait étaient-elles plus vraies que celles que je fabriquais moi-même à partir de souvenirs épars, de suppositions et de choses apprises en écoutant aux portes ? Les histoire inventées devenaient parfois vraies au fur et à mesure, et nombre d'histoires inventaient la vérité. La vérité est proche parente de l'oubli [...]."

Néanmois, même si le thème abordé et la délicatesse du récit font de ce roman une lecture agréable et parfois émouvante, un élément me pose problème : le cadre temporel du récit. Celui-ci est quasiment inexistant. On ne sait ni quand le récit cadre se déroule ni quand les événements passés ont exactement eu lieu. Seuls des indices permettent au lecteur d’établir une chronologie approximative.
Cela peut être perçu comme une volonté de l’auteur d’accorder la narration au sujet du livre (en effet, se rappelle-t-on avec exactitude si un souvenir d’enfance qui nous revient en mémoire date de dix-neuf ou vingt ans ? Cela est-il vraiment important ?) mais, dans un récit au système narratif aussi complexe que celui-ci et qui porte sur les souvenirs, un cadre temporel clair me paraîtrait nécessaire et aurait même pu renforcer le propos de l’auteur. En effet, l’aspect fragmentaire des souvenirs et l’incertitude qui plane sur certains éléments du passé de cette famille n’auraient-ils pas été consolidés par un récit cadre à la temporalité clairement établie ? Les incertitudes du passé auraient été ainsi davantage soulignées par le contraste établi avec un présent clairement défini.


En bref : Une écriture délicate pour un sujet émouvant. Personnellement, j'aurais tout de même souhaité que la chronologie du récit soit plus claire.

Le "pourquoi du comment" du titre : Il fait probablement référence aux pépins ajoutés dans la délicieuse compote de pommes que fait Iris vers la fin du récit, une fois sa décision prise.