Je dois
avouer que je ne comprends pas le commentaire de Jeanne de Ménibus en quatrième
de couverture de l’édition du Livre de poche : « Tout
sauf anodin, dans une famille allemande dont la « disposition à l‘oubli » ne dupe personne ». Il
faut croire que j’ai dû me laisser duper !
C’est
notamment à cause de ce commentaire sur le livre que celui-ci est resté si
longtemps dans ma bibliothèque : je n’avais pas envie de lire un livre sur
le nazisme (ce que sous-entend, pour moi, ce commentaire). La littérature
allemande contemporaine ne se résume pas à des variations sur le nazisme.
Cependant, contrairement
à ce que laisse penser ce commentaire, ce récit n’est centré pas sur une
famille allemande qui tenterait d’oublier ou de cacher un passé en rapport avec
le nazisme (bien que ce sujet soit, certes, brièvement abordé).
L’histoire
est à la fois simple et poignante : à la mort de Bertha, Iris, sa petite-fille,
hérite de sa maison. Cette maison, c’est celle où Iris a passé ses vacances
lorsqu’elle était enfant. Après avoir pris connaissance du testament de sa grand-mère,
elle passe quelques jours dans la veille demeure afin de décider si elle
accepte ou non cet héritage. Au fil des jours, des pièces qu’elle parcourt et
des personnes qu’elle redécouvre, les souvenirs émergent et permettent de
brosser le portrait des différents membres de la famille : la grand-mère
atteinte de la maladie d’Alzheimer et dont la mémoire se délitait peu à peu, le
grand-père si souvent enfermé dans son bureau, la cousine admirée et partie
trop tôt … C’est d’ailleurs le décès de cette cousine, Rosemarie, qui sert de
fil rouge au roman.
J'ai beaucoup apprécié la manière dont Katharina Hagena a construit son récit : à chaque fois que la narratrice pose les yeux sur un objet, ouvre une porte, entend un bruit, un souvenir lui revient en mémoire et, souvent, ce souvenir en fait resurgir un autre. Lorsque la narratrice évoque de nouveau ce qui a causé le surgissement du premier souvenir, le lecteur se dit "Ah, oui, elle parlait de ça au début !". Cela confère une dimension intimiste au récit : le lecteur a l'impression d'écouter une amie. (Qui n'a pas commencé à raconter quelque chose avant de passer à une autre histoire par association d'idées, avant de finalement revenir sujet de départ ?)
J'ai également aimé la relation établie entre le déroulement du récit et la maison, enfin surtout le jardin. La vue de chaque élément du jardin rappelle des souvenirs à la narratrice et certains bouleversements qu'a connu la famille d'Iris ont un retentissement sur le jardin.
Cela me mène directement à un autre point fort de ce récit : les touches de fantastique, les éléments quasi-extraordinaires qui parsèment le récit (par exemple, suite au décès de Rosemarie, toutes les groseilles rouges deviennent blanches). On peut voir à travers eux que le roman ne se limite pas simplement à décrire l'histoire d'une famille mais prend la dimension d'un mythe familiale. Peu importe ce qui est vrai, la narratrice raconte la vérité de sa famille, avec toutes les zones d'ombre et les arrangements avec la réalité que cela inclut. On peut ainsi lire au chapitre X : "Les histoires que l'on me racontait étaient-elles plus vraies que celles que je fabriquais moi-même à partir de souvenirs épars, de suppositions et de choses apprises en écoutant aux portes ? Les histoire inventées devenaient parfois vraies au fur et à mesure, et nombre d'histoires inventaient la vérité. La vérité est proche parente de l'oubli [...]."
Néanmois, même si le thème
abordé et la délicatesse du récit font de ce roman une lecture agréable et
parfois émouvante, un élément me pose problème : le cadre temporel du
récit. Celui-ci est quasiment inexistant. On ne sait ni quand le récit cadre se
déroule ni quand les événements passés ont exactement eu lieu. Seuls des indices
permettent au lecteur d’établir une chronologie approximative.
Cela peut
être perçu comme une volonté de l’auteur d’accorder la narration au sujet du
livre (en effet, se rappelle-t-on avec exactitude si un souvenir d’enfance qui nous
revient en mémoire date de dix-neuf ou vingt ans ? Cela est-il vraiment
important ?) mais, dans un récit au système narratif aussi complexe que
celui-ci et qui porte sur les souvenirs, un cadre temporel clair me paraîtrait
nécessaire et aurait même pu renforcer le propos de l’auteur. En effet, l’aspect
fragmentaire des souvenirs et l’incertitude qui plane sur certains éléments du
passé de cette famille n’auraient-ils pas été consolidés par un récit cadre à
la temporalité clairement établie ? Les incertitudes du passé auraient été ainsi davantage soulignées par le contraste établi avec un présent clairement défini.
En bref : Une écriture délicate
pour un sujet émouvant. Personnellement, j'aurais tout de même souhaité que la chronologie du récit soit plus claire.
Le "pourquoi du comment" du titre : Il fait probablement référence aux pépins ajoutés dans la délicieuse compote de pommes que fait Iris vers la fin du récit, une fois sa décision prise.
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